« But à Marseille ! », « Penalty à Strasbourg ! » « Carton jaune à Paris ! » Inventé dans les années 50, le Multiplex s’est diffusé sur les ondes avec réussite, devenant au fil des années le rendez-vous incontournable des passionnés de football. Retour sur l’histoire d’un concept mythique.
Du radioreportage sportif au direct
Le sport à la radio se développe dans les années 1930, avec l’apparition des premiers radioreportages sportifs consacrés au Tour de France, à la boxe ou au football. Certaines grandes voix deviennent familières du public, celle de Jean Antoine, d’Alex Virot ou de Georges Briquet, qui révolutionne le commentaire sportif avec un phrasé plus rapide.
Après la Seconde guerre mondiale (1939-1945), le sport reprend pleinement ses droits sur les ondes. Certains programmes s’imposent à l’antenne, dont Sports et Musique, une émission dominicale alternant reportages sportifs et pause musicale, diffusée sur la Radiodiffusion française (RDF). Si l’émission garde quelques années sa précellence, notamment grâce à ses radioreporters sportifs (Loys Van Lee, Jean Quittard, Raymond Marcillac, Patrick Saint-Maurice, André Bourillon et André Bibal), elle se voit bientôt concurrencée par Le dimanche des auditeurs, diffusé sur la station périphérique Radio-Luxembourg et réalisé par Guy Bernède. Ce dernier modernise la programmation : il favorise le direct et annonce les résultats sportifs au fur et à mesure de la journée.
Et Guy Bernède invente le multiplex…
Au cours des années 1950, le football s’impose progressivement comme un sport incontournable à la radio, deux à trois rencontres du championnat de France de Division 1 étant généralement commentées en alternance le dimanche. En direct depuis le stade, les radioreporters1 en liaison téléphonique avec le studio radio se relayent en effet à l’antenne.
Le 1er novembre 1953 marque une rupture avec les pratiques de l’époque : les auditeurs suivent pour la première fois en direct et en simultané les dernières minutes des rencontres Saint-Étienne – Toulouse et Strasbourg-Reims2. Une prouesse technique opérée par Guy Bernède, les deux commentateurs pouvant désormais interférer entre eux sans devoir repasser par le studio : le Multiplex est né.
Dès les matchs, suivant, le dispositif est reconduit. Si la formule est saluée par les auditeurs, elle est caricaturée dans L’Equipe Magazine sous la plume de Charles Fravel3 :
La fin du raffinement est le supplice chinois inventé par Radio-Luxembourg qui accroche sur une seule antenne deux ou trois reporters :
« Allo ! Ici Jacques de Ryswick au stade de Lens, Lille mène devant Roubaix par 2 à 0, mais voici une descente extrêmement dangereuse de …
Allo ! Passez-moi l’antenne ! Ici Patrick St-Maurice qui vous parle du Parc des Princes, Reims surclasse le Racing et Glovacki va …
Un superbe dégagement de Ruminski et Lille …
Fantastique, Kopa vient de rabattre et Reims une fois de plus …
Allo ! L’antenne ! Vite, passez-moi l’antenne ! …
Allo ! Je vous en supplie André Bourillon, laissez-moi l’ant …
Ici Jacques de Ryswick qui vous …
(…)
Allo ! ici André Bourillon ! C’est formidable ! grâce à la technique de nos techniciens, vous avez pu assister à 64, non à 32 matchs à la fois ! C’est absolument inouï, unique au monde ! Ici André Bourrillon et n’oubliez pas de déguster après déjeuner le fameux café du roi des cafés en ventes dans toutes les bonnes épiceries… »
Le Multiplex, formule gagnante
Les stations concurrentes ne tardent pas à réagir. Ainsi Europe n°1 (fondée en 1955), la RTF (la Radiodiffusion-télévision française) avec l’émission Sports et musique ou Radio Monte-Carlo reprennent à leur compte le concept au sein de leur programme sportif.
Si le Multiplex apparait en France, c’est en Italie que le dispositif s’affirme. Le 3 janvier 1960, le Programme National (première station de la RAI) étend la formule en diffusant en direct et en simultané la deuxième mi-temps de cinq rencontres du Calcio (quatre matchs de première division et un match de deuxième division). Le Multiplex devient désormais un genre à part entière et s’émancipe des programmes sportifs dans lesquels il était incorporé.
En France, c’est en 1975 à l’occasion de la dixième journée du championnat que la station France Inter propose pour la première fois la diffusion en intégralité des dix matchs de la soirée, dans son émission Interfootball. Sous la direction de Jean-Paul Brouchon (directeur des sports), les voix de Jacques Vendroux, Pierre Loctin, Jean-François Rhein ou Pierre Baledent résonnent à l’antenne, les journalistes pouvant intervenir à chaque instant pour signaler un fait de jeu majeur (but, action remarquable, penalty…). La même année, les radios Europe n°1 et RTL introduisent la formule du quart d’heure par quart d’heure permettant de faire un point régulier sur l’évolution des scores.
Plusieurs facteurs expliquent la réussite de ce format radiophonique : la professionnalisation du football français à partir des années 1970 (fusion des championnats professionnels et amateurs), les bons résultats des clubs français en Coupe d’Europe (les Verts de Saint-Etienne), la réorganisation du calendrier sportif (les matchs ont désormais lieu le en soirée le vendredi et le samedi), les progrès techniques en matière de radio (apparition du Nagra dans les années 60 qui facilite les interviews d’avant et d’après match) ou la diffusion (démocratisation) du transistor au sein de la société française.
La guerre des Multiplex
Au cours des années 80, ce format de multiplex en intégral est progressivement adopté par les stations concurrentes RMC et Europe 1 sous la houlette d’Eugène Saccomano qui commente l’affiche de la soirée. A partir de 1989, cette dernière s’intéresse également à la Deuxième Division, en intégrant deux à trois matchs à son Multiplex. RTL est la dernière des grandes stations à lancer son Multiplex ; en 1993 Guy Kedia présente Mégafoot en s’appuyant sur ses correspondants Bernard Roseau, Christian Ollivier, Jean-Michel Rascoli et Hervé Béroud.
L’année 1996 marque une nouvelle rupture avec l’apparition de l’émission Le match du Lundi4 diffusée sur Europe 1. Présenté par Eugène Saccomano, ce programme amorce l’ère des Talk-show et renforce encore le poids du football dans les grilles.
Si le Multiplex prospère dans les années 2000 sur RMC, RTL ou Europe 15, le concept s’essouffle au cours de la décennie 2010. Différents facteurs expliquent cette tendance : le morcellement des matchs tout au long du week-end, la multiplication des rencontres à la télévision (profusion des chaînes sportives : Canal +, BeIn Sports, l’Equipe TV, RMC Sport puis Prime Video …), les nouvelles formes de communication numérique (Internet, réseaux sociaux, applications), l’intérêt relatif des nouvelles générations pour la radio…
Si le Multiplex semble aujourd’hui en perte de vitesse, gageons qu’il saura encore se réinventer !
Elie Sabry
Pour aller plus loin :
- Bernède Guy, Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, Sport et radio, l’épopée du radioreportage sportif, reprographie radio France, janvier-mars, 2004
- Blog de Johnny Pilatte, Football & Radio : https://medium.com/@johnnypilatte
- France INTER, Emission Œil du Tigre sur France Inter animée par Phillipe Colin, diffusée le 13 septembre 2015 "Il était une voix..." avec Jacques Vendroux, France Pierre Maturana et Jocelyn Lermusieaux
- FRANCE CULTURE, Emission La fabrique médiatique sur France Culture présentée par Caroline Broué, diffusée le 16 juin 2018 « : Le foot, une passion médiatique ? » avec Jérôme Cazadieu et Jérôme Latta
2 Saint-Etienne – Toulouse : 1-1 et Strasbourg – Reims : 2-4 (10ème journée du championnat de France de football)
3 Bernède Guy, Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, Sport et radio, l’épopée du radioreportage sportif, reprographie Radio France, janvier-mars, 2004
4 Ce programme est inspiré par l’émission italienne Il processo del lunedì qui débriefe les matchs du week-end.
5 Pour animer les soirée foot, les différentes stations s’appuient notamment sur une équipe de consultants « vedettes » qui interviennent à l’antenne : Jean-Michel Larqué, Luis Fernandez puis Roland Courbis (RMC) Pierre Mènes puis Pascal Praud (RTL), Robert Pirès, Guy Roux ou Denis Balbir (Europe 1).
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