Cet été, nous avons sondé les différents supporters des clubs de Ligue 1 en leur posant cette simple question : quel est le plus grand match de l'histoire de votre club ? On débute aujourd'hui avec l'AJ Auxerre et sa légendaire demi-finale de Coupe de l'UEFA face au Borussia Dortmund en 1993.
"Notre Séville 1982"
Un mélange de bonheur immense et de tristesse inconsolable. Le souvenir d'une soirée d'ivresse conclue sur un cauchemar, ce genre de soirée que vous revivez parfois en rêve mais avec une fin différente, infiniment plus belle. Le rapport des supporters auxerrois à la demi-finale de Coupe UEFA 1993 est ambivalent. Alors qu'ils ont plébiscité ce match comme étant le plus grand match de leur histoire, il est fort probable que leur réponse aurait été la même si on leur avait demandé quel était leur pire souvenir de supporter. Finalement, c'est sûrement Benoît, un grand supporter du club bourguignon, qui résume le mieux ce sentiment particulier des auxerrois vis-à-vis de ce match :"Auxerre-Dortmund, c'est le Séville 1982 de l'AJA, un match fou, merveilleux mais cruel à la fois car défaite aux tirs aux buts. On était juste à ça d'être en finale européenne après avoir sorti le grand Ajax".
Coup dur au Waldstadion
Avant la mythique demi-finale face à Dortmund, l'AJA avait en effet offert à ses supporters l'un des plus grands moments de l'histoire du club en éliminant l'Ajax de Louis Van Gaal en quart de finale. Tenants du titre et invaincus en Coupe d'Europe depuis 18 rencontres, Bergkamp, Overmars, Davids et les autres étaient tombés face à la bande de Guy Roux dans un Stade de l'Abbé Deschamps en fusion. Vainqueurs 4 buts à 2 à l'aller grâce à des buts signés Verlaat, Martins, Vahirua et Dutuel, les coéquipiers du capitaine William Prunier avaient su résister au retour en Hollande (défaite 1-0) pour arracher leur qualification. En pleine confiance, ils pouvaient ainsi regarder droit dans les yeux leurs prochains adversaires : le Borussia Dortmund. Deuxièmes de Bundesliga en 1992, les hommes d'Ottmar Hitzfeld possédaient dans leurs rangs quelques vedettes internationales : le buteur suisse Stéphane Chapuisat, le défenseur ou milieu récupérateur Stéfan Reuter, 69 sélections avec l'Allemagne entre 1989 et 1998 ou encore quelques joueurs qui connaissent là la meilleure saison de leur carrière à l'image de Michael Zorc, aujourd'hui encore le joueur le plus capé de l'histoire du club. Plus expérimentés et plus solides, les Allemands prennent le meilleur au match aller devant les 45 000 spectateurs du Waldstadion. Le score final de 2-0 aurait même pu être plus sévère sans un pénalty de Michael Zorc magistralement arrêté par Charbonnier. A la mi-chemin de cette double confrontation, plus personne ne donne cher de la peau des auxerrois...
"Gardez ma fille, monsieur le commissaire !"
Dos au mur, les hommes de Guy Roux sont peut-être les seuls à croire à l'exploit en ce soir du 20 avril 1993. Enfin, eux et les 18 000 supporters d'un stade de l'Abbé Deschamps chauffé à blanc. Poussés par une ambiance hors-norme, les auxerrois démarrent la rencontre en trombe et ouvrent le score dès la 8ème minute grâce à Corentin Martins. Lancé en profondeur, le meneur de jeu bourguignon contrôle le ballon de la poitrine, élimine un défenseur d'un crochet du droit avant de placer une belle frappe du gauche à ras de terre. 1-0, le stade explose. Devant sa télé, Dominique, un inconditionnel de l'AJA reçoit un coup de fil : les gendarmes viennent de récupérer sa fille qui avait fugué. La suite, c'est lui qui la raconte le mieux :" Je leur ai demandé de la garder au chaud toute la nuit car je ne voulais pas louper le match. Et ils l'ont fait ! Encore merci à eux !!" Dominateurs, les hommes de Guy Roux marchent sur l'eau et, à la 72ème minute, le défenseur hollandais Franck Verlaat s'envole, prend le dessus sur son vis-à-vis et catapulte une tête imparable dans les filets de Stefan Klos. 2-0, Auxerre tient sa prolongation.
Le doigt de Prunier, le bras de Rummenigge, les larmes de Mahé
Pour ces trente minutes supplémentaires, l'ambiance devient autant électrique sur le terrain qu'en tribunes. A la 97ème minute, l'allemand Kuntowski, auteur d'un sauvetage miraculeux à la toute fin du temps réglementaire, est expulsé. Il est rejoint aux vestiaires dix minutes plus tard par l'auxerrois Guerreiro, la rencontre se finit donc à 10 contre 10. Malgré la volonté des auxerrois de prendre le dessus, la défense allemande tient bon et le couperet tombe : la place en finale se jouera aux tirs aux buts.
Bien lancés par la tentative réussie de Stéfan Karl, les Allemands mènent la danse dans une séance où la tension est à son comble. Comme le dira Guy Roux quelques années plus tard, les Allemands insultent tous les joueurs auxerrois qui vont tirer ... et ceux-ci le leurs rendent bien. Invectivé par le gardien allemand avant sa tentative, William Prunier lui répond d'un doigt d'honneur fièrement brandi après avoir inscrit son tir au but. Les tireurs s'enchaînent et avec eux les buts, les deux gardiens étant impuissants face à la précision des frappes. 5-5, Michael Rummenigge, frère cadet du Ballon d'Or, s'élance, réussit, et adresse un bras d'honneur au Stade de l'Abbé Deschamps. Désormais, les joueurs qui frappent sont ceux qui n'avaient pas voulu se désigner parmi les cinq tireurs initialement prévus pour la séance. Et, quand Stéphane Mahé s'avance pour le sixième tir auxerrois, on sent bien qu'il aurait préféré être partout au monde que face à Klos au point de pénalty. La mine déconfite, les pieds tremblants, le défenseur peine à soulever le ballon avec son pied pour le prendre dans les mains, jamais bon signe. En manque de confiance, il adresse une frappe molle à ras de terre que Klos détourne. C'est terminé, Mahé s'effondre sur le terrain, Auxerre ne verra pas la finale. Devant sa TV, Philippe, un autre supporter auxerrois est "en pleurs", inconsolable comme beaucoup. Sans le savoir, l'AJA vient de le plus grand match de son histoire.
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