En janvier 1940, alors que la "drôle de guerre" s'éternise, l'Equipe de France est de nouveau rassemblée pour un match amical face au Portugal. Démonstration de propagande et succès sportif, cette rencontre occupe une place à part dans la longue histoire de la sélection tricolore.
Footballeurs sous les drapeaux
1er septembre 1939. Alors que le gouvernement français vient de déclarer la guerre à l'Allemagne nazie, la mobilisation générale est décrétée. Comme tout le pays, le football français est totalement désorganisé par cette annonce. Mobilisés en masse, les joueurs, mais aussi les dirigeants et les arbitres désertent les clubs et la F.F.F. est contrainte de se réorganiser. Dans l'impossibilité de mettre en place un championnat de France classique, elle divise celui-ci en deux groupes, un au Nord, l'autre au Sud. La Coupe de France, qui retrouve son nom originel de Coupe Charles Simon, est elle aussi disputée mais de façon réduite puisque seules 32 équipes sont amenées à y participer. Pour prendre part à ces compétitions, les clubs ont dû s'adapter. En effet, si quelques joueurs obtiennent des permissions de temps en temps ou sont mobilisés dans la région, la plupart ne sont plus disponibles. Pour la première fois de son histoire, le football français doit donc faire massivement confiance à ses jeunes. Ainsi, lors de la première journée du championnat, le match entre Rouen et Reims revêt l'apparence d'une rencontre de catégorie jeunes tant la moyenne d'âge des deux équipes est faible (17 ans et demi pour Reims, 18 et demi pour Rouen !). Dans le même temps, les footballeurs aux armées essayent de s'entretenir comme ils le peuvent. Grâce à une vaste campagne menée par la F.F.F. et les journaux Football et L'Auto, de nombreux ballons sont acheminés au front. Demi-centre de l'Equipe de France, Gusti Jordan racontera plus tard qu'il s'entraînait en compagnie d'un camarade et qu'il "jouait au ballon sur des routes gelées par 20 degrés de froid". Jouer au football aux armées peut paraître étonnant mais il est important de resituer les choses dans leur contexte. Entre septembre 1939 et mai 1940, aucun combat n'a lieu entre Français et Allemands. Au front, les soldats mobilisés doivent donc lutter contre l'ennui et s'entretenir physiquement ce qui fait que, bien souvent, la pratique du football est encouragée par les chefs militaires. D'ailleurs, de véritables équipes militaires sont formées et beaucoup de joueurs professionnels en font partie. Ex-détenteur du record de sélections, Edmond Delfour monte par exemple "l'équipe Delfour" qui connaîtra de nombreux succès.
Et les Bleus dans tout ça ?
Privée de l'ensemble des grands événements qu'elle traitait auparavant, la presse sportive vit des moments difficiles dans ce début de conflit. Ancêtre du journal L'Equipe, le quotidien L'Auto en est réduit à publier des informations sur la guerre, tant l'actualité sportive est presque inexistante. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que ce soit par la voix de l'un de ses journalistes que le retour de l'Equipe de France soit réclamé le premier. Le 2 novembre 1939, alors que les championnats n'ont même pas débuté, Maurice Pefferkorn écrit un article intitulé "La propagande par le football. Et pourquoi ne pas former une Equipe de France ?". Prenant l'exemple des autres pays en guerre qui multiplient les matchs, il expose l'intérêt du football pour la propagande à l'internationale, arguant qu'il ne faut pas laisser le champ libre à l'Allemagne sur ce terrain là. Estimant que monter une Equipe de France serait un signe fort de vitalité envoyé à l'international, il milite pour que la F.F.F et les autorités militaires trouvent un accord pour l'organisation d'un tel événement. Bien entendu, cette demande n'est peut-être pas totalement désintéressée : Pefferkorn sait bien qu'un retour des Bleus serait également une bonne chose pour L'Auto.
Casse-tête pour Gaston Barreau
Ayant peut-être pris connaissance de l'appel de Pefferkorn, la F.F.F. s'active en coulisses dès le mois de novembre pour conclure une rencontre internationale. Après des semaines de négociations, un accord de principe est trouvé en décembre 1939 pour une rencontre à Paris face au Portugal le 28 janvier 1940. Dès lors, c'est un véritable casse-tête qui commence pour Gaston Barreau. A vrai dire, deux options s'offrent à lui : lancer des jeunes non mobilisés ou faire confiance aux anciens, sans trop savoir quel est leur état de forme. Conservateur dans l'âme, le sélectionneur des Bleus depuis 1919 va s'appuyer sur des valeurs sûres tels que Etienne Mattler, recordman de sélections, et tous les autres piliers de l'Equipe de France de 1938 à savoir les Jordan, Vandooren, Diagne, Heisserer, Veinante, Courtois et Bourbotte. Au rang des nouveautés, on note les noms de Rudi Hiden, ancien gardien du Wunderteam, et de Henri Hiltl, lui aussi ancien international autrichien tout juste naturalisé. Tous deux mobilisés près de Paris, ils ont pu se maintenir en forme en évoluant dans les rangs du RC Paris depuis le début de saison.
L'incroyable Monsieur Hiltl
Réunis seulement deux jours avant la rencontre à Paris, les sélectionnés disputent un match d'entraînement contre une équipe de la Base Aérienne 117 au sein de laquelle figure plusieurs professionnels parisiens. A l'issue de cette rencontre, un homme fait particulièrement l'unanimité : Henri Hiltl. Sélectionné pour la première fois en Bleu, celui que tout le monde appelle "Monsieur Hiltl" épate tous ses partenaires, Roger Courtois en tête :"Quel plaisir de jouer à côté de Hiltl ! C'est un joueur épatant. On peut presque entièrement se confier à lui. Quand il a la balle, à moins d'un miracle, on ne lui la prend pas."
Renforcée par un tel technicien, cette Equipe de France qui pourrait sembler "bricolée" est en réalité l'une des plus belles jamais alignée. Reprenant l'ossature de la solide équipe de 1938, elle a été renforcée par Hiden, longtemps considéré comme le meilleur gardien du monde, et donc Hiltl, le meneur de jeu qui lui faisait défaut depuis si longtemps. Ainsi, bien qu'en manque de préparation, les Bleus semblent en moyen de rivaliser face à une formation portugaise qui, bien qu'entraînée, n'a jamais réellement brillé sur la scène internationale.
Gloire aux soldats-footballeurs !
Le 28 janvier 1940, malgré un froid sibérien, ce sont pas moins de 18 000 spectateurs, dont 3000 militaires, qui se pressent dans les travées du Parc des Princes pour assister au grand retour de l'Equipe de France. Plus que le sportif, l'accent est mis sur la symbolique dès l'entrée des joueurs puisque ceux-ci pénètrent sur la pelouse vêtus de leur uniforme militaire. Succès garanti auprès de la foule qui manifeste son admiration envers ceux qui combattent l'ennemi. Jamais peut-être le Parc des Princes n'avait connu une telle ambiance et jamais les footballeurs professionnels n'avaient été aussi unanimement admirés. Emmenés par Mattler sous les vivas du public, ces Bleus là ne sont plus onze individualités rassemblées sous le même maillot mais bel et bien "l'Equipe de France de guerre", comme l'explique le journal Football. Enthousiaste, la foule n'attend plus désormais qu'une chose de ses joueurs : la victoire. En effet, ces rencontres de guerre sont à double tranchants. En cas de victoire, c'est tout un pays qui a fait signe d'une vitalité exceptionnelle pour avoir su surmonter les difficultés causées par la guerre. En revanche, en cas de défaite, le signal envoyé est nettement plus négatif. Dans ces moments-là, le football devient bien plus qu'un simple jeu.
Un match pour l'histoire
Conscients de l'enjeu, les Bleus ne vont pas trembler. Supérieurs dans tous les domaines aux Portugais, les Français l'emportent 3-1 grâce à des buts signés Heisserer et Désiré Koranyi (X2). Chef d'orchestre du collectif français, Hiltl est très largement loué pour son match dans les jours qui suivent la rencontre. A l'image de Rudi Hiden et de Désiré Koranyi, le buteur de Sète qui connaît ici sa 3ème et dernière sélection, la carrière d'Hiltl en Bleu s'arrêtera pourtant là, brutalement interrompue par la guerre et l'Occupation. Sportivement parlant, cette rencontre ne sera donc qu'une promesse sans lendemain. En effet, excepté un nul obtenu deux semaines plus tard face à une formation militaire de Grande Bretagne et deux courtes défaites d'équipes bis face à ces mêmes britanniques (rencontres non homologuées), l'Equipe de France ne disputera plus que deux rencontres avant décembre 1944 (deux défaites face à la Suisse et l'Espagne en 1942). En revanche, du point de vue de la propagande, le match est un succès majeur. Glorifiés comme jamais par la presse dans les jours suivant le match, ces Bleus là sont présentés à la population comme les premiers héros de guerre. Autrefois décriés car professionnels, ils sont cette fois portés aux nues, décris comme des modèles de vertu et de courage, aussi bien dans la presse sportive que dans la presse généraliste. Ce traitement médiatique n'est pas surprenant. Après 5 mois d'une drôle de guerre usante moralement pour toute la population, le retour victorieux des Bleus offre enfin une victoire, un motif de fierté à un pays de plus en plus incrédule devant cette guerre sans combats. Pour les joueurs sélectionnés, ce match est également une bulle d'air dans un quotidien bien morne. Privés de compétitions dignes de ce noms voire carrément de matchs, ils ne sont pourtant pas au bout de leur peine puisque le football français s'apprête à traverser l'une des périodes les plus noires de son histoire...
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