Héros de la Squadra Azurra lors de la finale de la Coupe du Monde 2006, Marco Materazzi est resté dans l'histoire comme "l'homme qui a fait craquer Zinédine Zidane". Portrait d'un "bad boy" incompris qui marqua à sa façon l'histoire du Mondial.
L’héritier de Schumacher
8 juillet 1982, Séville. Alors que l’on joue la 56ème minute de jeu lors de cette demi-finale de Coupe du Monde 1982 entre la France et l’Allemagne, Patrick Battiston, parfaitement lancé par Michel Platini, est lourdement percuté par le portier allemand Harald Schumacher. Complètement KO, le défenseur de Saint-Étienne ne se relève pas et est évacué de la pelouse sur civière et est accompagné jusqu’aux limites du terrain par un Platini groggy devant la violence de l’action : ce jour-là Battiston échappa de peu au pire. Devant leur télévision, les Français, scandalisés par l’agression du gardien allemand se consolent en se disant que l’Allemagne va se retrouver à 10 ce qui devrait ouvrir les portes d’une première finale de Coupe du Monde pour l’Equipe de France. Mais les minutes passent, Schumacher discute avec l’arbitre M. Corver et les deux échangent même des sourires… avant que le jeu ne reprenne. Pas de faute sifflée, pas de sanction. Un peu plus d’une heure plus tard, lorsque Maxime Bossis ratera son ultime tir au but, un échec synonyme d’élimination, la France entière aura trouvé son nouvel ennemi : Harald Schumacher. Pour les enfants de l’époque en particulier, le gardien de Cologne devient le « boucher de Séville », figure du mal absolue. Pendant 24 ans, personne ne viendra contester sa place d’ennemi numéro 1 du football français jusqu’à ce fameux soir de juillet 2006.
On joue alors la prolongation de la finale du Mondial Allemand lorsque l’Italien Marco Materazzi s’écroule au sol. Personne n’a vu l’action, pas même l’arbitre, qui en prend connaissance grâce aux écrans géants du stade : au milieu du terrain, Zinédine Zidane vient d’asséner un coup de boule au défenseur de l’Inter. Cette fois, l’agresseur est donc français mais il est l’idole de tout un peuple. Pour des milliers de gamins devant leur téléviseur, si Zizou a craqué, c’est parce que Materazzi a dû lui dire quelque chose. Dès lors, le défenseur de la Squadra devient pour tous ces gosses une sorte de maître du mal. Si Dark Vador, Sauron et Lord Voldemort avaient un chef, il se nommerait sûrement Marco Materazzi.
En provoquant l’exclusion du maître à jouer des Bleus, l’Italien a joué le rôle du briseur de rêves. Le conte de fées était pourtant parfait : sorti de sa retraite tel un sauveur, Zidane devait apporter aux Bleus leur deuxième étoile avant de tirer sa révérence. Mais Zizou avait craqué et David Trézéguet, comme Bossis avant lui, avait échoué lors de la séance de tirs aux buts. Maillot floqué du numéro 10 sur le dos, les gosses étaient allés se coucher avec un océan dans les yeux, rêvant sans doute d’une autre fin, plus heureuse, où le méchant de l’histoire était battu. Une fin à laquelle leurs aînés avaient rêvé plus de vingt ans avant eux...
Quand le football réveille le nationalisme
Que ce soit en 1982 ou en 2006, les défaites françaises contre l’Allemagne et l’Italie ont réveillé un fort sentiment nationaliste qui s’est souvent manifesté par des haines que l’on croyait disparu. Au soir du 8 juillet 1982, l’Allemand redevient le Boche, voire même le nazi, près de quarante ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Au lendemain de la défaite, le journaliste Jean Cau de Paris-Match n’hésite d’ailleurs pas à parler de troisième guerre mondiale, opposant « l’Allemagne, dans la force et la puissance de ses divisions blondes et rousses » et « la France et ses héroïques petits. » La rhétorique utilisée est frappante car elle rappelle celle des journalistes de 1940 qui louaient le courage des braves français partant défendre leur pays face à l’agresseur allemand, puissant et déshumanisé. En France, les relents germanophobes sont tels qu’ils poussent le chancelier allemand à télégraphier au président français François Mitterrand afin de réaffirmer son amitié pour l’Hexagone.
En 2006, Materazzi, lui redevient le « rital », truqueur, menteur, raciste, des accusations similaires à celles qui conduisirent en 1893 au massacre des ouvriers italiens des salines d’Aigues-Mortes par des ouvriers français. La presse elle-même renforce ce portrait peu flatteur d’un Materazzi auquel vont adhérer sans aucun souci des millions de français. De ce fait, tous les gamins abattus devant leur téléviseur vont grandir avec cette image de l’Italien simulateur et tricheur, un préjugé encore largement répandu aujourd’hui. Le football, qui avait appris à ces enfants les joies du partage et du collectif, venait de leur faire découvrir la haine de l’autre, nourrie par un nationalisme exacerbé.
La revanche de « Macellazzi »
En France et dans le monde entier, le nom de Marco Materazzi est éternellement associé au fameux coup de boule de Zizou. Pourtant, si l’on excepte cette fameuse 107ème minute, cette finale entre la France et l’Italie constituait une magnifique revanche pour un homme qui n’avait pas toujours été épargné lors de son parcours. Orphelin de sa mère dès ses 14 ans, Materazzi s’était construit dans l’adversité : il manquait de talent pur ? Il le compensait par une rage de vaincre de tous les instants. Les supporters le sifflaient ? Il poussait encore plus loin la provocation pour attiser encore plus leur haine. Défenseur hargneux mais assez frustre techniquement, Marco Materazzi avait, avant 2006, la réputation d’être le défenseur le plus détesté de Série A. Simulateur, vicieux et même parfois violent, il avait gagné le surnom de « Macellazzi », un mix entre son nom de famille et le terme italien macellaio qui signifie « le boucher ». Avec la Squadra, il semblait voué à passer sa carrière dans l’ombre de l’indéboulonnable charnière Nesta-Cannavaro, infiniment plus classes et talentueux que lui.
En effet, Materazzi n’a dû sa place de titulaire en 2006 qu’à la blessure d’Alessandro Nesta lors de la troisième rencontre de la Squadra face à la République Tchèque. Ce choix du sélectionneur Marcello Lippi avait d’ailleurs fait parler en Italie et pour cause, jamais Materazzi ne s’était totalement imposé à l’Inter et les dernières semaines précédant la Coupe du Monde n’avaient pas plaidé en sa faveur : trois semaines avant le Mondial, il s’était fait remarquer par un improbable CSC de plus de 30 mètres avec les nerazzuri…
Propulsé titulaire dans un climat de défiance générale, Materazzi allait pourtant rapidement faire taire les sceptiques. Buteur contre la République Tchèque, le « bad boy » du football italien prenait de la mesure au fur et à mesure des rencontres et devenait de plus en plus serein aux côtés du futur Ballon d’Or Fabio Cannavaro.
En finale, alors qu’on le pense retombé dans ses travers lorsqu’il commet une faute dans la surface sur Florent Malouda dès la 7ème minute, provoquant ainsi le pénalty transformé par Zinédine Zidane, il se rachète douze minutes plus tard en inscrivant une tête rageuse sur un corner du maestro Pirlo. Auteur par la suite d’une rencontre particulièrement solide, il ne tremble pas face à Fabien Barthez lors de la séance de tirs aux buts ce qui fait définitivement de lui l’homme de cette finale. A 33 ans, Materazzi le besogneux, le mal-aimé, devient champion du Monde, la plus grande fierté de sa carrière. Pour lui, qui s’est toujours senti incompris et a beaucoup souffert du désamour du public, ce triomphe constitue une belle revanche sur la vie. Mais pour autant, lui a-t-il permis de changer l’opinion publique à son sujet ? Pas vraiment. A son retour en Série A, il redeviendra rapidement l’homme le plus sifflé du championnat et la FIFA le sanctionnera de deux matchs de suspension pour avoir insulté Zidane avant le fameux coup de boule. Le manque de reconnaissance des Italiens sera pour toujours une source de profonde rancœur pour le "bad boy" italien : "Zidane a été protégé par les Français mais j'ai été fracassé par mes compatriotes, pour moi, ce ne sont pas des vrais Italiens. Je suis un patriote et j'ai toujours défendu les couleurs de l'Italie. Leurs critiques, c'est ce qui m'a fait le plus mal après cette Coupe du Monde. Ces personnes auraient dû embrasser le sol que je foulais, vu que j'ai marqué le but égalisateur."
Il en est ainsi, certaines images collent à la peau et il est impossible de s’en défaire. L'histoire est écrite et le « méchant » de ce légendaire France – Italie se dénommera pour toujours Marco Materazzi.
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