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Les 50 qui ont marqué la Coupe du Monde : Johan Cruyff

S'il n'a disputé qu'une seule Coupe du Monde tout au long de sa riche carrière, Johan Cruyff a tant marqué celle-ci de son empreinte qu'il fait sans doute partie des dix joueurs les plus importants de toute l'histoire de la compétition. Portrait d'un génie.

Johan Cruyff en 1974. Bein Sports.

Le mystère de 1978


L’intervention de la Reine Juliana des Pays-Bas n’y aura rien fait. Pas plus que les millions de signatures recueillies par des pétitions de supporters. Lorsqu’au mois de mai 1978, le sélectionneur des Pays-Bas Ernst Happel annonce la liste des joueurs sélectionnés pour participer à la Coupe du Monde en Argentine, Johan Cruyff n’y figure pas. A 31 ans, le mythique numéro 14 fait pourtant encore partie des tous meilleurs joueurs mondiaux mais il a refusé de prendre part à la compétition. Symbole de liberté, « Sa Majesté Johan » aurait-t-elle snobée le Mondial argentin pour protester contre la dictature sanglante de Jorge Videla ? C’est ce que les plus romantiques aiment à penser. Réponse de Cruyff himself : « Si cela avait été pour des raisons politiques, je n’aurai pas joué en Espagne sous la dictature de Franco ». Alors quelle autre raison ? L’argent diront ces détracteurs. Déjà opposé à la Fédération Hollandaise en 1974 au sujet des contrats de sponsoring sur lesquels les joueurs ne percevaient rien, le meneur de jeu des Pays-Bas aurait-il récidivé quatre ans plus tard ? Toujours pas assure-t-il.

La réalité sur cette absence de 1978, il ne la dévoilera que bien plus tard et la détaillera dans son autobiographie. Le 17 septembre 1977, Cruyff regarde un match de basket lorsqu’un intrus pénètre chez lui et braque la tempe d’un fusil sur sa tête. Toute la famille du joueur du Barça est présente et voit Johan être victime d’une tentative d’enlèvement. Si l’individu est heureusement rapidement maîtrisé par des voisins de la star, les mois qui suivent sont intenables pour le "Hollandais Volant" et sa famille. Incités à ne rien dire pour ne pas donner d’idées à d’autres ravisseurs, tous sont placés sous protection policière pour éviter une nouvelle tentative de rapt. « Dans ces conditions, écrit Cruyff, il m’était difficile de partir en Argentine avec l’équipe nationale. Si tu participes à un Mondial, il faut être convaincu à 200 %. Sinon, si tu es préoccupé par des problèmes de famille ou autres, il ne faut pas y aller. Tu ne serais pas bon de toute façon. »

Les ultimes tentatives du sélectionneur Ernst Happel n’y feront rien. Cruyff prétendra ne pas se sentir suffisamment en forme physiquement pour participer au Mondial argentin. Son dernier match en Coupe du Monde restera donc pour l’éternité la fameuse finale face à l’Allemagne quatre ans plus tôt. Il en est donc ainsi, Johan Cruyff ne sera jamais champion du monde.


L’épopée de 1974


Juin 1974. Alors que l’Europe vibre au rythme des Stones et de David Bowie, un vent de fraîcheur s’apprête à déferler sur le football mondial. Pourtant, dans les derniers jours précédant l’ouverture du Mondial allemand, les favoris des observateurs sentent plutôt le réchauffé : le Brésil, tenant du titre mais orphelin du Roi Pelé et surtout l’Allemagne de l’Ouest, vainqueur de l’Euro 1972 et qui bénéficiera du soutien de son public. Les Pays-Bas eux, à l’époque, ne sont rien ou presque. Après leur échec lors des qualifications du Mondial 1970 et de l’Euro 1972, les Oranje n’ont arraché leur sésame pour la Coupe du Monde 1974 qu’à la faveur d’une différence de buts supérieure à celle de la Belgique. Ainsi, si Cruyff est déjà double Ballon d’Or (1971 et 1973), sa sélection est considérée comme une addition de talents ne parvenant pas à jouer ensemble. En interne, la situation n’est pas beaucoup plus propice à la performance puisque le sélectionneur Frantisek Fadrhonc a été rétrogradé au rang de simple adjoint du coach de l’Ajax Rinus Michels à quelques semaines du début du Mondial. Pourtant, malgré ces conditions difficiles, les Pays-Bas vont très vite devenir l’attraction principale de la compétition. Autrefois incapables de jouer ensemble, les vedettes des Oranje se retrouvent à jouer un football novateur sous la houlette de leurs deux leaders : Michels, théoricien du « football total » et Cruyff, génie indispensable à la mise en place de celui-ci. Pour quelqu’un qui, comme l’auteur de ces lignes, n’a pas connu le Mondial 1974 et consulte des images d’archives, il ne peut qu’être frappé par l’étrangeté du jeu sans ballon des hollandais. Véritables machines de guerre sur le plan physique, les onze Oranje harcèlent sans répit leurs adversaires, isolant le porteur du ballon et n’hésitant pas à accumuler les tacles pour lui subtiliser. Une fois le cuir repris, le génie de Cruyff prend le relai pour organiser un jeu fluide, rapide, fait de redoublement de passes, de courses multiples et de dépassements de fonction. A la fois passeur, dribbleur et buteur, Cruyff est l’homme qui coordonne l’ensemble et lui donne un sens. Si, sur le plan statistique son Mondial n’est pas des plus impressionnants (3 buts), son importance dans le jeu hollandais saute aux yeux de quiconque jette un œil à l’un des matchs des Pays-Bas lors de cette Coupe du Monde. S’il fallait ne retenir qu’une rencontre, ce serait sans doute ce match face à l’Argentine lors de la deuxième phase de poules (en 1974, cette deuxième phase remplace les matchs à élimination directe, la finale opposant les premiers des deux poules finales). A l’issue d’une démonstration de pressing haut et de jeu collectif parfait, les Hollandais s’imposent 4-0 face à des Argentins médusés. Auteur de deux buts (un enchaînement contrôle porte-manteau, crochet du droit sur le gardien, finition du gauche et une reprise de volée du droit en angle fermé), Cruyff est le grand bonhomme d’une rencontre qui symbolise à elle-seule l’excellence de ces Pays-Bas de 1974. Et pourtant, si brillant soit-il, Johan Cruyff ne sera jamais champion du monde.


Perdant magnifique


En un mois de compétition, les Pays-Bas ont renversé les pronostics et se retrouvent désormais favoris au matin de la finale contre l’Allemagne. Outsiders au jeu spectaculaire, les Hollandais se sont attir"s les faveurs du public mondial qui rêvent en grande majorité de les voir triompher d’une équipe d’Allemagne solide dans toutes les lignes mais foncièrement moins novatrice dans sa façon de jouer. Si brillants depuis le début de la compétition, les Pays-Bas et Cruyff sont érigés en porte-étendards du beau jeu face à une sélection trop efficace, trop clinique pour attirer la sympathie. Dans cette rencontre presque manichéenne, ce sont les Hollandais qui vont tirer les premiers. Dès la 1ère minute de jeu, le football total des Oranje se met en place et Cruyff obtient un pénalty alors que les Allemands n’ont même pas eu le temps de toucher le ballon. Neeskens se charge de le transformer, 1-0, le conte de fées se poursuit. Et puis, tout va s’effondrer. A l’image de leur numéro 14, les Pays-Bas tombent dans une certaine facilité et pensent peut-être trop vite avoir fait le plus difficile. Rédacteur en chef de L’Equipe à l’époque, Jacques Ferran déclara plus tard au sujet de ce match : « Cruyff a trop cru que ce match lui appartenait, que c’était arrivé et qu’ils ne pouvaient être battus. Il a trop cru qu’il était imbattable et que, du moment qu’il était là, l’équipe finirait toujours par y arriver. Il n’a plus tout à fait fait ce qu’il aurait dû pour prendre ce match en mains quand ils menaient ». Hors de leur sujet, les Pays-Bas concèdent un pénalty que Breitner transforme à la 25ème minute avant que Gerd Müller ne double la mise juste avant la mi-temps. Cruyff sent alors que son destin est en train de lui échapper. Il perd son énergie à houspiller l’arbitre à la mi-temps et récolte un carton jaune. En deuxième mi-temps, il se ressaisit, à l’image de son équipe, mais c’est déjà trop tard : là où les Pays-Bas et leur meneur de jeu font passer le beau jeu avant tout, les Allemands savent qu’il faut parfois faire le dos rond pour tenir un score. Grâce à un Sepp Maier des grands jours, la RFA tient le coup. Johan Cruyff ne sera jamais champion du monde.


Le symbole d’une époque


Dans l’histoire du football, jamais un joueur n’a autant symbolisé son époque que Johan Cruyff. Jeune, rebelle, idéaliste, il est le reflet parfait d’une jeunesse qui rêve de changer le monde au son des tubes des Who ou des Pink Floyd. Avec « sa grande gueule » et son égo surdimensionné, Cruyff se fiche pas mal de déranger et incarne la totale liberté dont rêvent tous les jeunes de l’époque. Lui, l’apôtre du beau jeu, veut bousculer l’ordre établi à sa façon et se soucie guère du qu’en dira-t-on. Il est cool, aimé de tous, sauf de ceux ayant trop eu à faire à son caractère parfois tyrannique, et semble en capacité de changer les choses. Sous contrat avec Puma, il n’hésite pas à tenir tête à sa Fédération en retirant l’une des trois bandes d’Adidas sur son maillot après que celle-ci ait refusé de lui livrer une compensation. Aux journalistes, il répond avec arrogance lorsque la question ne lui convient pas et retourne fumer sa cigarette, autre aspect le rapprochant des jeunes d’alors. A côté de lui, comment l’Allemagne, symbole d’austérité et d’efficacité pourrait-elle avoir une chance de s’attirer les faveurs d’une jeunesse qui ne rêve que de rêver ? A posteriori, sa défaite finale n’en fait que plus encore le reflet d’un monde qui aurait pu être mais qui ne fût jamais, la faute à une réalité implacable qui ne laisse que peu de place aux utopistes. La réalité est ainsi faite : Johan Cruyff ne fut jamais champion du monde. Il fut bien plus que ça.

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