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Les 50 qui ont marqué la Coupe du Monde : Gerd Müller

Aucun autre footballeur ne pourra être autant associé au but que Gerd Müller. Au point de le voir se confondre pour l’éternité aux seuls traits réducteurs d’un renard des surfaces. Mais si der Bomber avec ses cuisses énormes, sa démarche empruntée, et sa barbe noire de jais incarnait certes l’efficacité, il était aussi un footballeur éminemment accompli.

Der Bomber Gerd Müller. Crédits : Imago


Et pourtant, Müller ne fut jamais Cruyff


7 juillet 1974 : alors que les derniers rayons du soleil percent les toiles d’araignées géantes du stade Olympique de Munich, et que les tireuses à bière d’une Allemagne toujours amputée de sa petite sœur de l’Est commencent à se mettre en branle, partout ailleurs les visages ont l’air déconfit. C’est en effet la désillusion pour tous ceux qui espéraient que la Hollande et son football total remporte cette finale, et mieux encore, qu’elle humilie les allemands sur leur sol. Comme si ça ne pouvait en être autrement…

Près de 50 ans plus tard, le récit de cette confrontation n’a pas vraiment changé : ce match aurait donc été celui qui oppose le talent à la force, la créativité à la rigueur, la douance au labeur, la liberté à la discipline, la beauté à la laideur… et après le coup de sifflet final, les maudits aux chanceux !

Dans le contexte socio-politique d’alors, la vague soufflée par une jeunesse qui se distingue par ses cheveux longs bouscule le modèle ancien qui repose sur les valeurs traditionnelles. Ces deux mondes s’affrontent aussi sur la pelouse sous couvert d’un football que certains qualifieraient comme de Gauche, plus novateur, plus stylé, plus agile, plus aventureux, plus pétillant, plus audacieux, et donc aussi plus risqué, vs un football plutôt vu comme étant de Droite, plus méthodique, plus conservateur, plus pragmatique, plus organisé, plus rigoureux, et sans doute plus sécure. Et bien des observateurs concernés par l’affiche RFA-Hollande n’en sont plus à une caricature près, usant même de clichés dignes d’un manichéisme de comptoir. C’est pourquoi, et quelle que soit l’issue de cette rencontre, les Orange seront à jamais soit les Rois du Monde, soit des perdants magnifiques.

C’est ainsi que Gerd Müller ne sera jamais Cruyff, et pourtant…


L’art d’enfiler des buts comme des perles


Souvent cantonné à sa réputation de footballeur d’un autre temps, scotché à sa surface, et ne marquant que des buts de raccroc, ‘’le gros’’ était pourtant bien moins statique et bien meilleur technicien que beaucoup le prétendent. Joueur vif, alerte, instinctif, explosif, opportuniste, intelligent, résistant et précis, ceux qui ne l’ont pas vraiment observé avec objectivité ne peuvent donc soutenir qu’il savait aussi participer au jeu, combiner avec ses partenaires, tenir le rôle de passeur décisif, et marquer de temps à autre des buts d’anthologie…

Perdu dans les statistiques de ses 748 réalisations officielles, celui qui restera le plus fameux sera inscrit à la 43e minute de cette finale munichoise. On retrouve en cette action, de sa conception à sa réalisation, un inventaire de tout ce qui le caractérise : sens de l’anticipation, promptitude, lecture clinique de la situation, prise de décision, et une vitesse d’exécution qui se conclut par un tir en pivot décoché à 9 mètres à peine de la ligne de but, envoyant le ballon entre les jambes d’un Krol dépassé, pour le placer hors d’atteinte d’un Jongbloed certes masqué mais cependant peu réactif. Ce 68e but pour l’équipe d’Allemagne marqué le jour de sa 62e sélection sera le dernier. Prenant ses distances avec la fédération suite à la fête organisée sans les épouses en l’honneur des vainqueurs du jour, il met fin à sa carrière internationale à l’âge de 28 ans.

Une carrière commencée en fait huit saisons plus tôt en octobre 1966 face à la Turquie. Mais bien que précoce, rien ne fut pourtant jamais facile à ses débuts pour ce joueur que même Zlatko Cajkowski, son entraineur de club, observait d’une moue dubitative. Et ce n’est qu’à force d’enfiler les buts comme des perles avec son Bayern qu’il propulse déjà sur le toit de l’Allemagne avant de l’emmener vers les sommets de l’Europe qu’il finira par faire taire ses détracteurs. Son statut est alors tout autre quand la Coupe du Monde millésime 70 se profile. Seul petit détail : Le numéro 9 est bien toujours porté par un certain Uwe Seeler, capitaine et joueur emblématique de la Manschaft, que le sélectionneur Helmut Schoen considère à juste titre comme encore très performant. Il faudra donc choisir entre Seeler et Müller : Schoen choisira de faire jouer… les deux


L’ère de la régularité au plus haut niveau


L’association du buteur de Munich à celui de Hambourg sera une des attractions de ce formidable Mundial mexicain. A la tête de l’attaque, les deux canonniers s’entendent en effet comme deux larrons en foire. Entre eux surtout, aucune guerre d’égo : car le vieux Seeler comprend que bien qu’obsédé par le but, le jeune Müller ne veut pas tirer la couverture à lui seul, sinon pour faire gagner son équipe. Ainsi, tous seront gagnants… ou presque, puisque malgré les 13 réalisations du tandem, les deux compères n’accéderont pas à la dernière marche, défaits lors de la prolongation du siècle face à l’Italie où Muller scorera pourtant deux fois.

Etant couronné meilleur buteur du tournoi avec ses 10 buts, le bavarois marque évidemment aussi les esprits. Grâce aux nouveaux moyens satellites et à l’arrivée des écrans couleur dans les foyers, Gerd, plutôt ours que paon, devient soudainement célèbre : et après avoir remporté son premier Soulier d’Or, il se voit désigné quelques mois plus tard meilleur footballeur européen. Le premier Ballon d’or remporté par un footballeur allemand !

On l’oublie souvent de nos jours, mais dans la hiérarchie de l’époque, Gerd Müller est alors l’égal d’un Cruyff ou d’un Beckenbauer : ce dernier affirmant d’ailleurs à de nombreuses reprises que tout ce que le Bayern a gagné, il le doit à Gerd Müller. Il aurait pu aussi ajouter, ‘’tout ce que la Manschaft a gagné… ‘’ Car ses performances avec la sélection furent bien absolument exceptionnelles. Grâce à lui, le football ouest-allemand se place alors régulièrement dans le dernier carré des compétitions qu’il dispute. La RFA entre alors dans une autre ère, celle de la régularité au plus haut niveau : 3 e du tournoi mondial en 70, vainqueur de l’Euro 72, Champion du monde en 74, Müller concrétise ainsi tout le travail d’une génération certes talentueuse, mais qui n’aurait sans doute pas gagné grand-chose sans son sens inné du but.

Der Bomber terminera sa dernière épopée avec un total de 4 réalisations. Une performance qui peut sembler bien inférieure à celle de 1970, mais sans son complice Seeler, il lui fallut cette fois occuper seul l’espace. Tout en pesant sur les défenses adverses qui le surveillent comme le lait sur le feu, ce coéquipier modèle n’aura alors de cesse d’essayer de se démarquer pour ouvrir des passerelles à Overath, qui à l’instar d’un Netzer à l’Euro 72, savait aussi le trouver les yeux fermés. Et puis, Müller ne tire plus les penalties, et manque aussi parfois de réussite : un poteau contre la RDA, et ce but injustement refusé en finale pour un hors-jeu imaginaire, sans doute parce que son Art de s’extraire d’une défense dans le bon timing est alors inaccessible même au meilleur des juges de touche.


Le plus grand des joueurs allemands ?


Gerd Müller terminera sa carrière perdu dans la NASL américaine à l’ombre des paillottes de Fort Lauderdale où il noiera ses états d’âmes. En errance, il retrouvera heureusement bien des années plus tard la grande famille du Bayern où il accomplira différentes missions auprès des jeunes du club. Et puis peu à peu, il perdit la mémoire… et le grand public lui aussi, l’oublia … Il ne refit les manchettes des journaux que le 15 août 2021, jour de sa disparition. Les hommages valorisant son immense palmarès et ses innombrables records seront cependant déclinés sans esbroufe, à l’image de l’Homme Müller, humble, discret, et peu à l’aise en société. Celui qui n’était ni un people, ni attiré par les médias n’avait donc pas le charisme d’un Beckenbauer, la personnalité d’un Fritz Walter, l’autorité d’un Matthäus, ni même la popularité d’un Seeler. Mais il était en revanche profondément aimé par les gens du peuple qui se retrouvaient en lui et l’appréciaient à sa juste valeur. Ainsi outre-Rhin, le débat est toujours très ouvert quand vient régulièrement le moment d’élire le plus grand de tous les footballeurs allemands. Car encore faudrait-il définir ce qu'on entend par le plus grand ? Si on remet l'adjectif dans sa définition littérale, relevant en fait d'une grande importance, d'une grande considération ou encore d'une certaine influence, Beckenbauer semble effectivement être sans rival. Mais si on lui oppose les notions d'acteur décisif, essentiel ou utile, il est alors bien fondé d’inviter Müller à la discussion.


Christian CUNY


L'auteur : Spécialiste du football pré-arrêt Bosman, Christian Cuny a notamment réalisé une étude sur les plus grands joueurs de l'histoire du football des origines à nos jours.

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