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Les 50 qui ont marqué la Coupe du Monde : Diego Maradona

Dernière mise à jour : 4 nov. 2022

Vainqueur presque à lui tout seul de la Coupe du Monde 1986, Diego Maradona a touché le fond huit ans plus tard en étant suspendu pour dopage lors de la Coupe du Monde 1994. Une histoire tourmentée à l'image de la vie du Pibe de Oro...


Maradona champion du Monde 1986. Crédit : AFP

L’Argentin est en vous, mais il n’est pas comme vous. N’essayez pas de le connaître, parce que son âme vit dans le monde impénétrable de la dualité. Il ne renonce pas à ses illusions, mais n’apprend pas non plus de ses désillusions.


Julian Marias (1914-2005) Philosophe espagnol


El pibe de Oro, ou le gamin en or


Villa Fiorito. Dans ce bidonville parmi les plus insalubres de Buenos-Aires s’agglutinent des milliers de familles qui dorment à l’abri des toits ondulés. Ici on vit de débrouille, et les enfants slaloment entre les 4x4 des trafiquants de paco, ce crack qui rend accro dès la première prise. A l’image de toutes les générations qui les ont précédés, ils jouent toujours au foot de nos jours sur les potreros, ces terrains vagues caillouteux où chacun défend sa zone comme si sa vie en dépendait. Et les insultes qui fusent charpentent leur vocabulaire : bastardo, hijo de puta, cabeza de pija… Il existe en revanche un code d’honneur : la parole est plus forte qu’un écrit, et si on n’est pas forcément épris de justice, on ne supporte pas l’injustice.


"J’ai grandi dans ce quartier privé, s’en amusait Diego Armando Maradona. Mais un quartier privé d’eau, d’électricité, de téléphone’’. Et dans ces années 60 plombées par la répression des régimes militaires, le sourire désarmant du jeune Diego contraste avec les traces de toute cette misère. Sans doute parce que le gamin a l’essentiel : l’amour des siens, une communauté, la santé, et surtout un ballon et quelques rêves : porter le maillot de l’Argentine et gagner la Coupe du Monde, rien que ça ! Mais à le voir jongler avec une orange, on se dit que rien ne lui semble interdit.


Des jeunes doués, la capitale en compte pourtant des dizaines à chaque coin de rues. De tels génies en revanche, on en voit qu’un par siècle ! C’est ainsi que celui qui est déjà une des attractions de la banlieue sud va finir par faire déplacer les foules dans tout le pays : le premier rêve du Pibe de Oro devient alors réalité. Car titulaire dès l’âge de 16 ans à Argentinos Juniors, il se voit convoquer en sélection quelques mois plus tard pour disputer une rencontre amicale. La voie royale pour réaliser son second rêve lui semble alors promise, mais quand se dévoile la liste des 22 élus appelés à disputer la Coupe du Monde 1978, Diego en est exclu. Le sélectionneur Luis César Menotti doute en fait de ses capacités à gérer ce trop-plein de pression alors que l’Argentine organise le tournoi sur ses propres terres. Il ne souhaite pas plus prendre le risque de le griller en cas d’échec. Maradona suit alors le parcours de ses coéquipiers à distance, partagé entre la joie de les voir remporter le titre et la frustration de ne pas être également couronné. L’amertume prend aussi parfois des airs de fort sentiment d’injustice tant il estime que les qualités déjà démontrées l’autorisaient à faire partie de l’aventure.


C’est toutefois avec une forte détermination qu’il part un an plus tard à la conquête de la Coupe du Monde Espoirs où le public japonais confirme ce que toute l’Argentine savait déjà : El Pelusa est bien un joueur hors norme. Et il compte bien le prouver quand il se rend ensuite en Espagne pour défendre le titre de l’Albiceleste au Mundial 82. Le génie qui évolue désormais sous les couleurs de Boca Juniors est alors attendu par les téléspectateurs du monde entier qui se réjouissent de faire enfin plus ample connaissance avec ce phénomène que la plupart d’entre eux ne connait que de réputation. Après avoir sonné le réveil des siens face aux hongrois pour gommer la défaite essuyée d’entrée face aux belges, Diego est en revanche bien moins décisif au second tour où il se mesure tout d’abord à l’Italie et Claudio Gentile, qui ne cesse d’utiliser impunément la manière forte pour le museler. Il affronte ensuite le Brésil, où, frustré par son impuissance à vaincre les voisins honnis et à se libérer du marquage de Batista, son chien de garde du jour, il en vient à l’agresser lui-même. Diego finit alors le tournoi prématurément, invité à regagner le vestiaire. Mais le traitement dont il fait l’objet fait naitre en lui un nouveau sentiment d’injustice.


Ayant pourtant appris gamin à disputer chaque ballon à ces grands qui font une tête de plus que lui, Maradona n’est pas habité par la peur. Et si certains joueurs reculent ou esquivent, lui affronte sans retenue au point d’en payer parfois le prix, d’autant que dans les années 80, la jurisprudence tend à faire preuve de clémence envers les assassins : il l’apprend à ses dépens après avoir signé au Barça quand il croise le chemin du terroriste basque Goikoetxea, qui n’hésite pas à lui briser la cheville. Les deux années passées en Catalogne ne seront donc pas ses plus fastes : outre les blessures, l’expérience sera marquée par de froides relations avec son entraineur Udo Lattek, et par la rencontre festive de Lady Cocaïne qui va s’avérer particulièrement destructrice.


Au sommet de son Art


Un départ semblant inévitable, la folie de Maradona embrasse alors comme par évidence celle de Naples, tiers-monde de l’Italie. Mais si Diego se sent d’emblée comme un poisson dans l’eau dans cette atmosphère bouillonnante qui lui rappelle ses racines, la première saison au club est toutefois relativement décevante. En fait, le 10 du Napoli stagne depuis le début de la décennie, et quand le premier coup de sifflet du Mundial 86 se fait entendre, son CV ne fait mention que d’un championnat d’Argentine et d’une coupe d’Espagne : un peu léger pour un footballeur d’un tel calibre. Il n’y a donc plus de temps à perdre s’il veut marquer l’Histoire.


Ce sera chose faite un mois plus tard et de quelle manière : car avant ou après lui, aucun joueur ne sera jamais aussi influent que ce Maradona dans la conquête du titre suprême. Capitaine d’une équipe somme toute moyenne, il porte en effet l’Albiceleste sur ses épaules tout au long du tournoi. Et ses motivations dépassent le cadre du football quand il affronte l’Angleterre : il lui faut tout d’abord laver l’affront de l’expulsion abusive de ‘’l’animal’’ Antonio Rattin en 66 à Wembley. Il lui faut aussi réparer la défaite de la guerre des Malouines contre ces mêmes anglais quatre plus tôt. Il lui faut en fait se battre encore et encore contre l’injustice, pour refuser l’humiliation, s’opposer aux dominations, et défendre l’honneur d’une Nation. Alors, quand Maradona décide que l’heure est venue de marquer le but du siècle, il pivote balle aux pieds au centre du terrain, fait tourner en marmelade la moitié de l’équipe d’Angleterre, et s’en va crucifier Shilton sans aucun état d’âmes. Tout ceci après avoir fait admettre au Monde entier que le ballon entré quelques minutes plus tôt dans ce même filet avait bien été quant à lui marqué par le divin. Car la main de Dieu n’est en fait à ses yeux qu’une petite escroquerie bien innocente en regard du mépris des états hégémoniques, de la prééminence de l’argent, de la place de la corruption et autres magouilles que seuls les intouchables de l’establishment peuvent s’autoriser. Pour le peuple argentin, Maradona n’est alors plus seulement un footballeur : il est un justicier qui rééquilibre la balance entre puissants et misérables.


Alors au sommet de son Art, Diego, 25 ans, est déifié dans son pays mais aussi à Naples à qui il offre une C3 et ses deux seuls titres de champion d’Italie. Deux secousses qui retentissent aussi fortement qu’une éruption du Vésuve. Car grâce à lui encore, les oubliés du sud de la botte ont enfin le sentiment d’exister en devançant la Juve et le Milan, ébranlant ainsi la suprématie industrielle du Nord symbolisée par la FIAT, mais aussi le pouvoir médiaticopolitique de l’Empire Berlusconi.


Un long feuilleton d’errances


Maradona ne le sait pas encore, mais il vient pourtant de manger son pain blanc. Manipulé par la Camorra qui l’alimente en cocaïne, il n’est déjà plus que l’ombre du héros de 86 lorsque débute la Coupe du Monde 90 organisée en Italie. S’il parvient encore à mobiliser ses troupes pour atteindre les ½ finales, il se voit aussi outrageusement sifflé quand il se présente sur la pelouse de son stade du San Paolo pour affronter puis vaincre la Squadra Azzurra. Très atteint, Diego ne pardonnera jamais au public napolitain ce qu’il considère comme la pire des ingratitudes, alors qu’en finale, le pénalty cadeau sifflé pour les allemands résonne comme une injustice de plus.


La suite ne sera plus qu’un long feuilleton d’errances et de come-back, ponctué par un but d’anthologie contre la Grèce lors de la Coupe du Monde 94, puis par un contrôle positif à l’éphédrine après la rencontre contre le Nigéria, auquel il se rend avec le même sourire insouciant qui éclairait l’enfant immature qu’il est finalement toujours resté. Il ne fera alors plus parler la poudre, sinon la poudre blanche : et si sa consommation n’altère pas vraiment son génie du jeu tant elle lui procure un sentiment de toute puissance, le rend hermétique à la fatigue, et atténue la douleur de l’exil et de la distance avec sa mère qu’il vénère, elle impacte en revanche assurément son psychisme, d’autant que ses rares vacances avec la défonce sont remplacées par des voyages au pays de l’alcool.


C’est ainsi qu’usé par tous ces excès et atteint par de multiples pathologies et autres troubles psychologiques, celui qui reste sans doute toujours le seul à pouvoir contester la suprématie de Pelé dans la hiérarchie des intouchables se laissera mourir un soir de novembre 2020. Le feuilleton de sa vie, aussi mouvementé et extrême soit-t-il reste toutefois très cohérent, tant son fil rouge sera gouverné par la lutte contre les pouvoirs au profit de ceux qui n’ont jamais droit au chapitre. Il sera aussi marqué par l’amour : l’amour du jeu, de son drapeau, de sa terre, des siens… Le Ché tatoué sur le bras, Diego restera donc à jamais celui qui a porté les aspirations d’une Argentine certes chaotique, mais digne et fière, et attachée à ses particularismes, à sa liberté et à son indépendance. Maradona en est ainsi sans doute le dernier des révolutionnaires.


Christian Cuny


L'auteur : Spécialiste du football pré-arrêt Bosman, Christian Cuny a notamment réalisé une étude sur les plus grands joueurs de l'histoire du football des origines à nos jours.

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