Apparu dans les universités anglaises au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, le football est un sport aux origines encore bien mystérieuses. Tout nouveau jeu ou simple dérive d’anciens jeux populaires, voilà la question à laquelle nous allons tenter de répondre pour le premier épisode de notre série consacrée à la grande histoire du football.
Soule et pipeau français.
A la fin du XIXème siècle, alors que le football pénètre petit à petit le territoire français, de nombreuses voix s’élèvent pour protester contre la propagation de ce jeu anglais. Considéré comme brutal et peu digne d’intérêt, le football est largement dévalorisé par rapport à d’autres sports jugés plus nobles. En 1890, Le Figaro écrit par exemple dans un article consacré à l’escrime : « Laissons les hourras britanniques célébrer un horrifique coup de poing défonçant une poitrine, ou un coup de bottine ferrée brisant la jambe d’un adversaire au football, et gardons nos applaudissements pour les prouesses plus relevées des escrimeurs. »[1]
En France, les contestations sont d’autant plus véhémentes que, pour certains détracteurs, ce nouveau sport issu de Grande-Bretagne n’a rien de britannique : il s’agirait tout simplement d’un dérivé de la soule, un jeu populaire français datant du Moyen-Age. Pratiquée dans les villages, la soule opposait le plus souvent deux paroisses voisines qui se disputaient une sorte de balle en cuir qu’ils devaient glisser dans les buts adverses. Extrêmement violent, le jeu se démarquait du football sur de nombreux points : autorisation d’utiliser les mains, pas de fautes, pas d’arbitre, pas de limitation de terrain (les rencontres avaient souvent lieu dans l’ensemble du village). En soi, peu de choses à voir avec le football actuel. Pourtant, l’anglophobie régnante en France à la fin du XIXème siècle pousse les uns et les autres à redoubler d’inventivité pour refuser aux britanniques la paternité de ce nouveau sport si populaire. En 1892, dans son récit de voyage en Birmanie, l’explorateur Émile Cavaglion explique ainsi que les Birmans connaissent bien les règles du football puisque ce serait eux qui les auraient inventé. Il explique que « ces jeux ont été introduits en Birmanie par des gens du Manipour faits prisonniers par Allongphra, le fondateur de la dynastie actuelle. »[2] En réalité, la présence du football dans la lointaine Birmanie à cette époque est bien évidemment due au fait que le pays soit devenu britannique en 1886.
Calcio fiorentino et tlachtli
Outre la soule, d’autres sports tel que le calcio fiorentino et le tlachtli ont pu être considéré comme de lointains parents du football. Toutefois, ces deux sports étaient étroitement liés à des cérémonies religieuses ou folkloriques précises et n’étaient donc pas de simples divertissements. Par exemple, pour le tlachtli, jeu de balle des civilisations Mayas et Aztèques, la partie se terminait par le sacrifice de l’équipe perdante. Ainsi, aucune compétition se déroulant suivant un calendrier sportif n'était organisée dans ces deux sports, ce qui les différencie encore un peu plus du football. Difficile en effet d’imaginer un championnat au format de matchs allers-retours si une équipe est entièrement sacrifiée aux dieux en cas de défaite… De ces sports parfois vieux de plusieurs siècles, le calcio fiorentino est le seul à être encore pratiqué aujourd'hui. Chaque année à Florence lors de la troisième semaine de juin, deux équipes de 27 joueurs s'affrontent dans un terrain aménagé sur la Piazza Santa Croce. Leur objectif ? Envoyer une balle dans le but adverse comme au football, à la seule différence prêt que tous les coups (ou presque) sont permis pour y parvenir. En somme, on est bien souvent plus proche des sports de combat que du tiki-taka.
"The English Game"
Finalement, même s'il a pu dériver en partie de ces sports, le football semble bien puiser l'essentiel de ses origines du côté de l'Angleterre. Grâce à leurs recherches, les historiens ont en effet pu démontrer que les formes les plus proches du football tel qu’il fut réglementé lors de la création de la Football Association en 1863 furent celles qui existaient dans les universités anglaises depuis parfois plus d’un siècle. A Eton par exemple, on pratiquait un sport que l’on appelait déjà « football » en 1747 ! Si ce « football » était alors joué différemment selon l’université où l’on se trouvait, c’est bien lui et non la soule ou tout autre sport qui inspira les fondateurs du premier règlement édité par la Football Association (FA). De plus, au sein des universités, les matchs de ce football que l’on pourrait qualifier de « préhistorique » étaient l’objet de véritables compétitions entre les équipes de l'école. Cet aspect est déterminant puisqu’il marque une différence majeure entre ce football préhistorique des universités anglaises et les jeux d’antan comme la soule : pour la première fois, les principes de tournois, de classements apparaissent, là où les autres jeux n’étaient que des éléments parmi d’autres au sein de cérémonies religieuses et folkloriques. A cet égard, et même s’il a pu être inspiré par des sports traditionnels tels que la soule, le football pratiqué dans les universités anglaises dès la moitié du XVIIIème siècle apparaît véritablement comme étant l’ancêtre du football moderne.
Adulé par les étudiants anglais depuis plus d’un siècle, le football n’en est pourtant encore qu’à ses balbutiements en 1850. Encore cantonné dans les universités où il a vu le jour, celui qui n’est pas encore le « people’s game » a devant lui un grand chemin à parcourir. Pour autant, en ce 24 octobre 1857, la réunion de quelques anciens étudiants dans le quartier d’Highfield à Sheffield pourrait bien changer les choses…
A suivre…
Pour en savoir plus nous vous conseillons :
- P. Dietschy, Histoire du Football, Tempus, 2014.
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