Figure incontournable du football français des années 30, Étienne Mattler fut en son temps capitaine de l'Équipe de France, recordman de sélections en Bleu et actif résistant durant la Seconde Guerre Mondiale. Voici son histoire.
La "Marseillaise" de Naples
En cette fin de journée du 15 décembre 1938, un groupe d'hommes entrent dans un café de Naples le cœur lourd. Quelques heures auparavant, ils viennent d’être défaits par l’Italie dans le bouillant stade Partenopeo de Naples. Parmi eux, un est particulièrement remonté : Étienne Mattler, 33 ans, capitaine de l’équipe de France de football. Il faut dire qu’en près de quinze ans de carrière, le défenseur central des Bleus et de Sochaux n’avait jamais connu une ambiance aussi hostile que celle que ses coéquipiers et lui viennent d’affronter ce jour-là. C'est un euphémisme de dire que, dans un pays gangréné par la montée du fascisme et de plus en plus proche de l’Allemagne nazie, la sélection française n’était pas la bienvenue. Dès son entrée sur le terrain, elle a essuyé des sifflets terribles qui ont rendu la Marseillaise inaudible. Alors, quand quelques supporters italiens rentrent dans le café et provoquent une fois encore Mattler et les siens, ç’en est trop pour le roc sochalien. Ni une ni deux, il se lève de son siège et entonne cette Marseillaise que les italiens avaient bafoué, laissant les provocateurs médusés.
Le "balayeur" de Belfort
Fier et courageux hors du terrain, celui qui vit le jour en 1905 à Belfort fait preuve des mêmes capacités sur le rectangle vert. Surnommé « le balayeur », il est un défenseur dur sur l’homme mais jamais méchant, doté d’un bon sens de l’anticipation et d’un physique imposant. S’il n’est pas le plus fin techniquement, Mattler compense cela par une capacité à donner toujours 110% de ses capacités. Connaissant bien son tempérament, ses partenaires s’amusent parfois à trouver de petites astuces pour le surmotiver. Par exemple, avant une rencontre entre la France B et la Tunisie ses coéquipiers lui font croire que l’avant-centre adverse avait prétendu « le passer à tous les coups ». Le jour du match, le pauvre attaquant qui n’avait rien demandé, tomba sur un Mattler hors de lui qui joua de façon encore plus rugueuse qu’à l’accoutumée. Hilare, l’international français Maurice Banide racontera plus tard que « au bout de quelques instants, l’attaquant tunisien ne fut plus qu’un pantin désarticulé, sans voix, sans geste et sans jambes. »
Capable de réduire au néant l’activité de quelques-uns des plus brillants attaquants de son époque, Mattler est un élément indispensable de l’équipe de France. Entre 1930 et 1940, il participe aux trois premières Coupe du Monde et bat le record du nombre de sélections (46). En club, il est une figure incontournable du FC Sochaux avec lequel il remporte le championnat de France en 1935 et 1938 et surtout, la Coupe de France 1937 qui procure à Mattler "la plus grande joie de (sa) carrière."
Le Lion et les Serpents
De la joie de 1937, Mattler va passer à l’horreur de 1939. Mobilisé lors de la Seconde Guerre Mondiale, il se retrouve loin de son FC Sochaux auquel il tient tant. S’il obtient une permission pour honorer sa dernière sélection en janvier 1940 lors d’un match amical face au Portugal, ce bonheur est de courte durée. En juin 1940, la France est vaincue et le Maréchal Pétain signe l’armistice et entame une politique de collaboration avec l’Allemagne nazie.
Rentré à Sochaux où il est devenu entraîneur-joueur, Mattler s’attèle à lancer des jeunes joueurs tout en demeurant une pièce essentielle sur le terrain. Mais en février 1944, c’est la stupéfaction pour les habitués du stade Bonal : « le Lion de Belfort » est arrêté par la Gestapo. Enfermé à la caserne Friedrich, Mattler est battu mais ne dit rien de ses liens avec les résistants, rien des armes cachées dans son grenier, rien de l’activité clandestine qui est la sienne depuis février 1942. Libéré après 92 jours de détention, l’ex-capitaine des Bleus sait qu’il n’est désormais plus en sécurité à Belfort. Prenant la fuite pour la première fois de sa vie, il se réfugie en Suisse (en traversant la frontière caché dans une charrette transportant du foin !) et parvient à rejoindre l’Armée de la Libération du Général de Lattre de Tassigny.
Durant la cavale d'Étienne, sa famille vit dans la crainte, le roc sochalien ne pouvant bien évidemment pas leur donner de nouvelles à cause de l'étroite surveillance du courrier. En septembre 1944, des rumeurs font état de l'arrestation et de la mise à mort de l'ex-capitaine des Bleus. Finalement, c'est presque un véritable revenant qui apparaît aux siens lors des combats pour la Libération de Belfort en 1945. Pour autant, l'heure n'est pas encore aux retrouvailles définitives. Faisant preuve de la même ardeur sur le champ de bataille que sur le terrain, Mattler poursuit les combats jusqu’en Allemagne, étant seulement freiné par un éclat d’obus qui le blesse à la tête et lui fait enfin remiser au placard son uniforme militaire. L’heure d’enfin se reposer pour l’indomptable défenseur ? Certainement pas ! Du haut de ses 40 ans, le « balayeur » retrouve son poste d'entraîneur-joueur à Sochaux pour une dernière saison en 1945-1946 avant de raccrocher définitivement les crampons.
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